PRODUCTIONS PHOTOGRAPHIQUES DOCUMENTAIRES
Avec le soutien du Fonds Social Européen
 Les racines de l'espérance
photographe : Stéphane Lagoutte





Gérard, 53 ans, bénévole au jardin Collectif d’insertion de Val Maubuée Torcy (77)

« C’est la troisième fois que je tombe. J’arriverai peut-être à me relever encore, cette fois-ci. »
Gérard sourit, mais ses yeux demeurent tristes. A 53 ans, il vit avec le RMI dans la crainte d’un jugement en cassation qui pourrait l’obliger à payer 225 000 euros. Une longue histoire. Cet ancien responsable d’un laboratoire de collage sur rotative, a, pendant longtemps, très bien gagné sa vie. Certes, il avait traversé des épreuves : le décès de sa première fille atteinte de myopathie, le départ de son épouse une dizaine d’année après, emmenant avec elle ses trois autres filles et le laissant huit ans sans nouvelles. Mais, à chaque fois, il avait réussi à surmonter. Lorsque, en 2002, la société pour laquelle il travaille est rachetée par des Américains, il décide de prendre ses indemnités et de monter une affaire.

« J’ai pris un restaurant à Paray-Le-Monial avec ma compagne de l’époque et son fils. Très vite, elle a été opérée du dos, ne pouvait plus travailler. C’est moi qui faisait tourner les 270 couverts. Mais, du jour au lendemain, le fils, qui pourtant ne faisait pas grand chose et son copain ont voulu me licencier. A la limite, je serais bien parti pour remonter autre chose, mais ils ne voulaient pas me rendre l’argent que j’avais investi. » Devant le blocage de la situation Gérard déprime. Il reste enfermé une semaine dans sa chambre attenante au restaurant. Et, le 24 décembre, le jour de son anniversaire, il fait une tentative de suicide.
« J’ai bu et j’ai voulu m’immoler. » Cependant, il ne se souvient de rien. Un trou noir dont il émerge à l’hôpital psychiatrique où il passera trois semaines. A sa sortie, il est conduit directement à la gendarmerie. Là, il apprend qu’il est accusé de destruction de biens et mise en danger de la vie d’autrui. Incarcéré à Lyon, il fait deux nouvelles tentatives de suicide. Il finira par être relâché en attendant son procès. Lui-même a déposé plainte contre ses anciens associés, pour escroquerie, mais curieusement, les deux plaintes ont été confondues et jugées ensemble. Il fait donc appel, et son appel rejeté, dépose un recours en cassation. En attendant les résultats de ces démarches, il retourne en région parisienne où il possède une maison qu’il a construite de ses mains.
« Je pourrais la louer, mais pour cela, il faudrait que je fasse des travaux et je n’ai pas d’argent. C’est un cercle vicieux.» Alors Gérard attend de savoir comment la justice va statuer sur son sort. Quant à trouver du travail…
« Passé 50 ans, on est bon pour la casse », constate-t-il amer. C’est l’assistante sociale qui lui parle du Jardin du Val Maubuée. Il y entre début 2007.

« Pour être mieux dans ma peau. Chez moi, avec les médicaments, je passe mon temps à dormir. Ça me fait du bien de venir ici, je vois du monde, je m’occupe. »
De fait, Gérard n’a pas mis longtemps à s’intégrer. Organisateur né, habile de ses mains, motivé, et toujours prêt à rendre service, il prend des initiatives. Lui qui rêvait, jeune homme de devenir paysagiste, propose, s’investit, redessine des allées, apporte un vieil établit qui traînait dans son garage et monte un barbecue pour les repas du vendredi midi avec les collègues, les jours de beau temps. Il construit également les toilettes qui manquaient. « Au fond du jardin j’ai créé un papillon en fleurs et en légumes. »( Lorsque au mois de juin, une fête est organisée au jardin, il vient habillé en Pierrot, comme un clin d’œil à son passé de poète amateur et une revendication de sa mélancolie. Cependant, le jardin ne l’occupe qu’à mi-temps alors, à la rentrée 2007, il propose ses services au Secours populaire, pour aider les autres, pour se sentir utile. Depuis, il y passe la majeure partie de son temps, délaissant peu à peu le jardin. Mais les week-ends sont longs. Même s’il a renoué avec ses filles, il se sent très seul.

« Lorsque je travaillais, j’étais très fêtard, j’avais des amis, motards, comme moi. La maison était ouverte. Maintenant que je n’ai plus rien, tout le monde m’a tourné le dos. »
Alors il ferme les volets de sa demeure et dort, en attendant de savoir s’il pourra récupérer son argent investi, combien les assureurs lui réclameront au final, et comment, cette fois-ci, il pourra se relever.


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