PRODUCTIONS PHOTOGRAPHIQUES DOCUMENTAIRES
Avec le soutien du Fonds Social Européen
 Les racines de l'espérance
photographe : Stéphane Lagoutte





Ben Younès, 57 ans, en CDD successifs depuis quatre ans aux Potagers de Marcoussis (91)

Ben Younès est amer. Nulle part, il se sent accepté, reconnu, respecté. Algérien né Français puisqu’il avait 11 ans, lors de l’Indépendance, détenteur d’une Carte nationale d’identité et d’un passeport français, décoré trois fois lors de la Guerre du Tchad, et notamment de la Croix de Guerre et du titre de la reconnaissance nationale, il ne peut cependant pas obtenir le certificat de nationalité qui lui permettrait de faire venir sa femme et son plus jeune fils en France. Son épouse et ses trois enfants vivent au Maroc où, là aussi, il est considéré comme un étranger, un Algérien.
« J’ai dû vendre le garage que j’avais monté là-bas, car, à cause des tensions entre le Maroc et l’Algérie, les gens étaient méfiants, et reprochaient à ma femme de ne pas avoir épousé un Marocain. »
Son idée alors: recommencer sa vie en France. Son fils a deux mois lorsqu’il part, en éclaireur, pour trouver du travail et permettre à la famille de le rejoindre. Las, depuis cinq ans, les problèmes de papiers l’en empêchent et ses enfants grandissent loin de lui.
« Je ne les ai qu’au téléphone et j’y vais chaque année un mois, pendant les vacances. Je leur envoie de l’argent, mais quand ma fille a raté son Bac, elle m’a dit «c’est de ta faute, tu n’es pas là», pareil pour mon grand fils. Quant au petit, il me dit qu’il n’a pas besoin de moi, qu’il est bien avec sa mère et ses frères et sœur. C’est dur à entendre. De toutes façons, même si je pouvais les faire venir, tant que je gagne 860 euros par mois, je ne peux pas prendre un logement et quitter le foyer où j’habite. »
Depuis janvier 2004, Ben Younès est employé au Potager de Marcoussis.
« Je cherchais du travail, mais à plus de cinquante ans, ce n’est pas facile. On m’avait laissé entendre que je pourrais être embauché à la mairie d’Arpajon, j’ai rencontré le directeur des services techniques mais finalement, ils ont préféré prendre une jeune. » Il signe alors un Contrat emploi Solidarité de chauffeur-livreur pour 26 h par semaine.
« En fait, on me demande souvent de faire le travail d’ouvrier-maraîcher. »
Voire plus. Car dans ce potager solidaire, où se croisent sans papiers, jeunes chômeurs, handicapés, Rmistes, où la plupart, y compris les encadrants, ne restent que quelques mois, Ben Younès est le plus ancien, la mémoire des lieux en quelque sorte. On lui fait confiance, on lui confie les nouveaux, les adhérents l’aiment bien. Pour autant, rien ne change : sa situation reste précaire et il sent qu’il doit, par moments, demeurer « profil bas ».
« On a vite fait, sinon, de me demander pour qui je me prends, si je joue au chef. Il faut être diplomate.»
Alors Ben Younès, philosophe, se tait. Lui qui fut guitariste de rock, adepte du mouvement hippie dans les années 70, pratiquant d’arts martiaux, avant de s’engager dans la légion et d’en partir en signe de protestation contre les horreurs auxquelles il a assisté, sait parfaitement apprécier les situations, jauger les hommes. Sans illusions.
« J’aime bien ce travail, ça me rappelle mon enfance car mon père était agriculteur. Mais je bosse pour mes enfants, pour pouvoir leur envoyer de l’argent. Pour moi c’est trop tard. ».
D’ailleurs, il ne sait même pas où il sera dans quelques années.
« Ma carte d’identité est valable jusqu’en 2012, sans certificat de nationalité, je ne pourrai pas la faire renouveler. Dans ce cas, je devrai partir. Vous savez je comprends les jeunes qui se révoltent, il faut voir comment on nous traite. »


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